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Le Vietnam au fil de l'eau
20 février 2020

Trois portraits, trois générations

Binh et ses enfants, dans sa maisonBinh, 37 ans, est notre premier guide. On fait sa connaissance à Hué. Dès le premier abord, le contact est facile. Il est souriant, tout de suite familier et direct. Né à la campagne, à une dizaine de kms de Hué, il y vit toujours, avec sa mère, sa femme et ses deux enfants (7 ans et 4 ans). Il se revendique, d'entrée de jeu, comme un garçon de la campagne, attaché à sa terre et aimant la faire découvrir aux touristes qu'il accompagne. On a passé en tout une semaine avec lui et on a beaucoup échangé. Il s'intéresse autant à nous que nous à ses traditions, son environnement, sa famille. On lui a posé des dizaines de questions. Il ne renonce jamais à nous expliquer et pourtant souvent, il commence par "c'est compliqué" ou "ça dépend", si on lui demande des explications sur le culte des ancêtres ou les rituels liés à l'inhumation.
Comme dit plus haut, il nous a invité à prendre le thé chez lui, nous a présenté sa mère et ses enfants (sa femme était absente). Il nous a parlé de son enfance et de sa jeunesse, dans une période encore difficile pour le Vietnam. En visitant la zone démilitarisée, autour du 17ème parallèle, un peu au nord de Hué, il nous a rappelé que la campagne avait été truffée de bombes. Lorsqu'il était gamin, il pouvait jouer dans ces zones à haut risque. C'est un miracle s'il a été épargné, mais il a connu des enfants qui ont eu le bras ou la jambe arrachés. Issu d'un milieu pauvre, sa famille a plutôt été favorisée par le communisme, car elle s'est vue attribuer un lopin de terre. Et s'il n'avait pas eu l'opportunité de devenir guide francophone (il a appris le français au lycée et à l'université), il serait toujours paysan. En fait, il est à la fois guide et paysan, car la saison touristique connaît des mois creux (environ 6 mois par an).
Toujours de bonne humeur et blagueur, il est aussi toujours disponible pour nous rendre des petits services et prendre des initiatives sympa, comme la balade en basket-boat. On était tous très émus de se quitter à la fin de la première semaine. On a continué à s'envoyer des messages et des photos par WhatsApp pendant la suite de notre voyage et encore à ce jour.

 

Tam, dans le delta du MékongTout à l'opposé est le caractère de Tam, 69 ans, notre second guide, avec qui on a passé quatre jours dans le delta du Mékong et une journée à Saigon. Ni avenant, ni accueillant, on comprend vite qu'il est guide par dépit et que toute sa vie est un long fleuve de frustrations et de souffrances. Lorsqu'on se présente mutuellement, Tam veut juste savoir de quelles villes on vient, car il connaît assez bien la France, mais il ne veut ni savoir nos prénoms ni rien de nous. A l'inverse, on en saura beaucoup sur lui, car on le questionne énormément et qu'il a besoin de parler.
Son histoire personnelle est représentative de celle d'une partie des vietnamiens du sud et à ce titre, elle mérite qu'on y prête attention. Originaire de Saïgon, il est issu d'une famille catholique de la bourgeoisie - son père avait un restaurant rue Catinat - rangée aux côtés des français, puis des américains. Il a 20 ans au début des années 70 et s'engage dans l'armée. Quand les communistes proclament l'indépendance, en 1975, il est évidemment fait prisonnier. En tant que simple caporal, il n'est pas envoyé dans le nord, comme les officiers, mais les conditions de son camp de rééducation sont presque aussi éprouvantes. En sortant du camp, il fait partie des bannis et toutes les opportunités qui auraient dû s'ouvrir à lui en tant que jeune éduqué (il a fait de très bonnes études au lycée français de Dalat) lui sont fermées. Il fait donc trente-six métiers, tels que vendeur de rue, livreur à vélo, réparateur de vélos... A partir de 1992, quand le Vietnam commence à s'ouvrir au tourisme, il devient guide, car il maîtrise très bien le français. Il parle en effet une langue très châtiée et il est très cultivé, en histoire notamment. Sa situation commence à s'améliorer, mais il a déjà 41 ans. Toute sa jeunesse a été gâchée et il en est très amer. Marié, il a deux filles d'une trentaine d'années qui, toutes les deux, ont épousé un français et se sont installées en France où elle travaillent dans le tourisme.
A 60 ans, on le met à la retraite d'office, mais sans pension (sa déveine le poursuit !). Il ne peut donc plus être guide officiel, mais il peut continuer à travailler, en dépendant d'un guide officiel, pour obtenir des missions. Une humiliation de plus, vu qu'il devra travailler jusqu'à la fin de sa vie pour subvenir à ses besoins. Heureusement toutefois, sa femme qui était enseignante a droit, elle, à une retraite.
Tam est la seule personne par qui on aura entendu des critiques, probablement justifiées, contre le pouvoir communiste corrompu et qui n'hésite pas à arrêter, emprisonner, torturer, voire tuer les opposants éventuels au régime. Un discours bien sombre, qu'il faut savoir entendre, tout en faisant la part des choses, naturellement.
Malgré ce portrait à charge, Tam a tout de même un côté sympathique. Il est très féru de botanique et nous a appris à reconnaître les fruits, les fleurs, les arbres et il n'était jamais avare d'explications dès qu'on lui posait des questions de tout ordre. Un autre aspect de lui nous a beaucoup amusé, son addiction à la loterie. Il achetait des billets tous les jours et même plusieurs fois par jour, à bord du bateau, lors d'un tour à bicyclette, au marché. On lui a demandé ce qu'il ferait de l'argent, s'il gagnait. Il ferait un voyage au Canada ou en Norvège. On ne s'est pas quitté dans de grandes effusions, mais je garde toutefois un souvenir ému de cet homme qui a eu une vie si difficile.

 

La troisième n'est pas guide. Elle a une vingtaine d'années et elle travaille dans l'hôtel familial "Chez Khanh" où nous avons passé en tout une semaine, avant et après notre séjour dans le delta du Mékong. Haute comme trois pommes, souriante et vive, Thiam, s'empresse de nous mettre à l'aise et de tout faire pour que l'on se sente bien dans cette maison. C'est surtout à notre retour du delta qu'on apprend à mieux la connaître.

Dan-tranh (cithare vietnamienne)Elle nous a réservé une petite surprise. Comme on a appris qu'elle jouait d'un instrument étrange, aperçu dans le bureau, elle nous organise un petit concert, le soir de notre retour, sur la terrasse au dernier étage. Son instrument est une cithare vietnamienne (dan tranh) au son cristallin, qui accompagne généralement les pièces du théâtre traditionnel ou les marionnettes sur l'eau. Thiam ne l'étudie que depuis quatre mois, mais elle joue déjà très bien quelques morceaux. A partir de ce moment partagé, nous avons plus de complicité et d'affection pour Thiam. C'est Brigitte qui lui trouve un joli surnom qu'elle porte à merveille, "la petite fée virevoltante". Elle se fait expliquer l'adjectif (on parle anglais avec elle) et elle s'entraîne à le répéter car il lui plaît beaucoup.
Originaire du delta, elle avait un travail assez précaire et fatigant, conduire les touristes lors de balades à bicyclette. Elle nous a dit faire jusqu'à 30 kms par jour sous le soleil. Lorsque Khanh, le propriétaire de l'hôtel, lui a proposé de venir travailler pour lui à Saïgon, elle a tout de suite accepté, d'autant plus que cela allait lui permettre d'apprendre à jouer de l'instrument dont elle rêvait depuis longtemps !
Deux autres jeunes vivent aussi à l'hôtel. My Anh, une étudiante en sciences, un peu timide, avec qui nous avons peu parlé. Et Rémi-Vinh, un franco-vietnamien de 25 ans, adopté à l'âge d'un mois par une française et avec qui, au contraire, nous avons beaucoup échangé. Rémi-Vinh s'est installé à l'hôtel depuis deux mois environ et passe des entretiens d'embauche pour décrocher un job au Vietnam, tout en s'efforçant d'apprendre le vietnamien. C'est une grosse tête, spécialisé dans l'intelligence artificielle et agrégé de maths. Sa mère a raconté l'histoire de son adoption dans un livre qu'on a pu lire sur place. Un récit émouvant, jalonné d'épreuves et d'obstacles à surmonter, dans le Vietnam encore extrêmement pauvre et peu développé des années 90.
Retrouver ces deux jeunes, Thiam et Rémi-Vinh, chaque soir à l'hôtel est pour nous un vrai bonheur. Lorsqu'on s'est quitté, Thiam nous a confié qu'elle voulait voyager en France. Nous l'attendons chez nous... sans doute pas cette année, vue la situation, mais qui sait ?

 

Thiam, devant, avec Rémi-Vinh et My Anh

 

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